Susceptibilité des enfants à la publicité pour les aliments et boissons : quelles pistes en promotion de la santé ?

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Les recommandations internationales 1 et nationales 2 convergent sur la nécessité de réduire l’exposition des enfants à la publicité pour les aliments. En effet, différents niveaux de preuve à ce sujet sont maintenant bien établis :

Liste numérotée comme ceci :

  1. Les publicités dont les enfants sont les cibles privilégiées portent massivement sur des produits alimentaires défavorables à la santé, y compris les boissons sucrées 3 ;
  2. Les enfants sont particulièrement influencés par les publicités, notamment par celles qui mobilisent des personnages familiers ou perçus comme positifs, ainsi que par celles faisant appel à des références qui leur parlent (imaginaire, force, pouvoir…) ;
  3. Les conséquences de longues durées d’exposition à la publicité (mesurées, par exemple, par le temps passé devant la télévision) sur leurs comportements alimentaires sont négatives dans la mesure où leur consommation d’aliments défavorables à la santé en est augmentée.

Réduire l’exposition des enfants à la publicité télévisée peut passer en premier lieu par un système de régulation. L’une des premières initiatives consistait à interdire la promotion d’aliments dont le profil nutritionnel est défavorable, aux heures dédiées aux programmes destinés aux enfants. Parmi d’autres, le Royaume-Uni a été précurseur et poursuit ses efforts en la matière, mais il a été suivi par un nombre relativement réduit d’Etats (Irlande, Chili, Finlande…), en raison des pertes de gain financier en jeu pour l’industrie agro-alimentaire et les médias 4. En Belgique, seule une « auto-régulation » est en place actuellement 5. De plus, l’exposition au marketing alimentaire des enfants dépasse largement celle de la télévision : ils sont également exposés via internet, les campagnes d’affichages, mais aussi par le parrainage d’événements comme des manifestations sportives 6 .

Dans ces conditions, et sans renoncer pour autant aux moyens de régulation publique, promouvoir auprès des enfants, une lecture avertie du marketing alimentaire reste d’actualité. Pour ce faire, comprendre la façon avec laquelle ils perçoivent leur susceptibilité à la publicité pour les aliments constitue une piste pour le développement d’actions de promotion de la santé dans ce domaine.

DRINK, pour réduire la consommation de boissons sucrées par les enfants

Le projet DRINK, précédemment évoqué ici et ici , vise à réduire la consommation de boissons sucrées par les enfants d’écoles primaires en Belgique francophone. Des interventions ont été mises en place dans 36 écoles, et les évolutions de consommation de boissons de leurs élèves seront comparées à celles d’élèves d’une douzaine d’écoles témoins.

En complément de la mesure des consommations de boissons elles-mêmes, nous documentons différents déterminants de ces consommations, parmi lesquels la susceptibilité aux publicités pour les aliments et boissons. Le sentiment d’auto-efficacité a également été mesuré à l’inclusion dans l’étude (c’est-à-dire avant la mise en place de toute intervention) car c’est une dimension clé pour l’accompagnement de la promotion de la santé. Ces éléments nous permettront de mieux comprendre les éventuels changements de comportements après la mise en place des interventions dans le cadre du projet DRINK.

Grâce aux informations recueillies par questionnaire auprès des élèves à l’inclusion dans le projet DRINK, nos objectifs sont ici :

Liste numérotée comme ceci :

  1. de décrire qui sont les enfants qui se décrivent comme susceptibles à la publicité pour les aliments et les boissons ;
  2. et de documenter les relations entre susceptibilité à cette publicité et sentiment d’auto-efficacité. Notre hypothèse initiale était que les enfants se ressentant comme auto-efficaces, se percevraient également comme moins susceptibles à la publicité pour les aliments et les boissons.

Comment la sensibilité à la publicité pour les aliments a-t-elle été mesurée ?


A l’inclusion dans le projet, en 2021, les enfants ont rempli un auto-questionnaire en classe, dans lequel des questions leur ont été posées sur leur susceptibilité perçue à la publicité pour les boissons. Ce sont six affirmations, initialement développées pour les publicités relatives aux aliments 7, et adaptées en incluant les boissons, comme « Je pense que les aliments ou les boissons que montre la publicité ont un bon goût » ou « Je choisis plutôt des aliments ou des boissons lorsqu’il y a un personnage rigolo ou de dessin animé sur l’emballage ». Pour chacune des affirmations, les enfants choisissaient une réponse parmi cinq, de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord ». Un score a été construit à partir de leurs réponses, et le quart des enfants le plus souvent d’accord avec ces affirmations ont été considérés comme particulièrement sensibles à la publicité pour les aliments et les boissons.

Le sentiment d’auto-efficacité est le fait de croire dans sa capacité à réussir à réaliser une action, une tâche, notamment face à des situations difficiles. Il a été mesuré ici à partir de six affirmations adaptées aux enfants, et reprenant les dimensions cognitives, comportementales, affectives et relatives aux ressources sociales de ce concept 8 . Puis, deux groupes d’enfants ont été constitués selon la valeur de leur score autour de la médiane observée dans l’échantillon, soit 12 points (pour un score compris entre 6 et 30). Les enfants se ressentant les plus auto-efficaces étaient ceux avec un score inférieur à 12.

Qui sont les enfants se décrivant comme particulièrement susceptibles à la publicité ?

Tandis que les garçons étaient susceptibles à la publicité alimentaire dans une proportion comparable à celle des filles (24,7% vs. 22,1%), cette proportion était la plus élevée parmi les élèves de 8 ans (29,6% contre 23,6% à 9 ans, 21,2% à 10 ans, et 22,2% à 11 ans).

Un gradient socioéconomique, mesuré par le niveau d’aisance familiale, est observé : plus le niveau d’aisance familiale augmentait, plus la proportion d’enfants particulièrement sensibles à la publicité diminuait (Figure 1). L’on remarque également que les enfants les plus influencés par leurs pairs étaient trois fois plus nombreux à se décrire comme particulièrement sensibles à la publicité que les autres (Figure 1).

Par ailleurs, les enfants se percevant comme de corpulence normale étaient les moins susceptibles à la publicité (20,7%) comparés à ceux se percevant comme « trop minces » (28,1%) ou « trop gros » (27,2%). Enfin, comme attendu, les enfants qui consommaient des boissons sucrées au moins une fois par jour, étaient deux fois plus susceptibles à la publicité que ceux qui en consommaient moins (Figure 1).

Les enfants se sentant les plus auto-efficaces sont les plus susceptibles à la publicité pour les aliments et les boissons

Parmi les enfants classés comme les plus auto-efficaces, 26,3% se décrivaient comme sensibles à la publicité, contre 20,4% parmi ceux considérés comme les moins auto-efficaces. Cette différence était indépendante des autres variables analysées ici (genre, âge, niveau d’aisance familiale, influence des pairs, corpulence perçue), ce qui met en évidence des mécanismes propres, notamment autres que ceux liés au caractère influençable des enfants.

Le sous-groupe dans lequel une susceptibilité élevée à la publicité était la plus fréquente était celui constitué des enfants issus de familles de niveau d’aisance faible et se sentant auto-efficaces (Figure 2). En revanche, le fait de se sentir auto-efficace n’était pas associé à la susceptibilité élevée à la publicité dans le groupe des enfants de niveau d’aisance familiale élevé (Figure 2).

Selon un raisonnement semblable, c’est chez les enfants se percevant « trop minces » et avec un sentiment d’auto-efficacité le plus élevé que la fréquence de susceptibilité à la publicité la plus élevée était observée (Figure 3). Le sentiment d’auto-efficacité était également associé à la susceptibilité à la publicité chez les enfants percevant leur corps « comme il faut ». En revanche, parmi les enfants se percevant « trop gros », une sensibilité élevée à la publicité se retrouvait dans des proportions semblables qu’ils ou elles se sentent auto-efficaces ou non (Figure 3).

Sentiment d’auto-efficacité et susceptibilité à la publicité : des relations complexes à explorer

Pour soutenir les enfants vers la réduction de leurs consommations de boissons sucrées, leur sensibilisation critique aux leviers du marketing alimentaire est un élément parmi d’autres mobilisés dans le cadre du projet DRINK. Nos analyses descriptives à l’inclusion (c’est-à-dire avant la mise en place de toute intervention) mettent en lumière l’importance de cette composante.

Tous les enfants bénéficieraient probablement de l’acquisition d’une analyse critique de la publicité car seuls 11% des enfants du projet DRINK n’étaient jamais d’accord avec les affirmations proposées concernant leur influence par la publicité. Des actions renforcées auprès des groupes d’enfants particulièrement sensibles à la publicité comme les plus jeunes, ceux vivant dans les familles les moins favorisées économiquement, chez ceux se percevant comme trop minces ou trop gros, ou, encore, parmi ceux les plus influençables par les autres enfants, sont toutefois à développer.

Nos observations en lien avec le sentiment d’auto-efficacité ouvrent également des hypothèses qui seront à approfondir. Le sentiment d’auto-efficacité est l’un des éléments clés souvent mobilisés dans l’accompagnement aux changements d’attitude ou de comportements de santé, notamment en matière d’alimentation. Ses relations avec la susceptibilité à la publicité sont complexes, car des influences bilatérales et non univoques sont potentiellement impliquées (Figure 4).

Nos résultats montrent que les publicités relatives aux boissons sucrées peuvent occuper une place particulière dans ces relations. En effet, les boissons sucrées sont relativement accessibles par rapport à d’autres biens plus coûteux, tels que les jeux ou les vêtements par exemple. Elles peuvent alors faire l’objet de négociations au moment des achats ou au domicile, plus facilement couronnées de succès, notamment dans les familles défavorisées économiquement, ce qui peut augmenter le sentiment d’auto-efficacité des enfants. D’un autre côté, les enfants ayant un sentiment d’auto-efficacité peuvent avoir la perception qu’ils ou elles restent maitres.ses de leurs choix dans la multitude des boissons proposées lors des publicités. C’est une composante éventuellement en jeu pour les enfants se percevant comme trop minces, et qui se sont décrits comme particulièrement sensibles à la publicité. L’analyse des effets des interventions mises en place dans le cadre du projet DRINK, dont l’échéance est prévue pour cette année, viendront compléter l’exploration de ces hypothèses.

Notes et références

  1. World Health Organization. Food marketing exposure and power and their associations with food-related attitudes, beliefs and behaviours: a narrative review. Geneva: World Health Organization. 2022. Disponible sur : https://www.who.int/publications/i/item/9789240041783. ↩︎
  2. Conseil supérieur de la santé. Réduire l’exposition des enfants, y compris des adolescents, aux aliments malsains par le biais des médias et du marketing en Belgique. CSS n°9577. 2022. Disponible sur : https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20221010_css-9527_aliments_malsains_pour_des_enfants_vweb.pdf. ↩︎
  3. Escalon H. Exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des produits gras, sucrés, salés. Santé Publique France. 2020. Disponible sur : https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/documents/rapport-synthese/exposition-des-enfants-et-des-adolescents-a-la-publicite-pour-des-produits-gras-sucres-sales. ↩︎
  4. Taillie LS, Busey E, Stoltze FM, Dillman Carpentier FR. Governmental policies to reduce unhealthy food marketing to children. Nutr Rev 2019;77:787-816. ↩︎
  5. Cf. 2 ↩︎
  6. Cf. 1 ↩︎
  7. Cervi MM, Agurs-Collins T, Dwyer LA, Thai CL, Moser RP, Nebeling LC. Susceptibility to food advertisements and sugar-sweetened beverage intake in non-Hispanic black and non-Hispanic white adolescents. J Community Health 2017;42:748-756. ↩︎
  8. Schwarzer R, Jerusalem M. Generalized Self-Efficacy scale. In: Weinman J, Wright S, Johnston M, editors. Measures in health psychology: A user’s portfolio. Causal and control beliefs. Windsor, UK: NFER-NELSON; 1995. p. 35-7. ↩︎
  9. Torsheim T, Cavallo F, Levin KA, Schnohr C, Mazur J, Niclasen B, et al. Psychometric validation of the revised Family Affluence Scale: a latent variable approach. Child Indic Res 2016;9:771-784. ↩︎
  10. Bearden WO, Netemeyer RG, Teel JE. Measurement of consumer susceptibility to interpersonal influence. J Consum Res 1989;15:473-481. ↩︎
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